L'EXIGENCE DE GÉOMÉTRIE


Nantes est une ville qui compte dans l'histoire de l'art pour avoir eu dans ses murs des représentants de premier plan des mouvements artistiques emblématiques de ce siècle, le surréalisme, avec Vacher et Breton, et le constructivisme, avec Gorin. Si le premier y a laissé de glorieux souvenirs, l'art construit continue à s'y développer. Jean Branchet en porte le témoignage.

Sa première véritable émotion picturale date de 1953, au Salon des Réalités Nouvelles, haut lieu de l'abstraction. Il ressort abasourdi de cette flamboyance plastique, aux formes et couleurs toutes nouvelles, si loin de ce qu'il avait appris sur la peinture.

Jean Branchet a découvert l'art contemporain. Il visite musées et galeries, il pratique la musique, assiste à de nombreux concert, et perçoit dans la musique les correspondances entre l'harmonie des sons et des couleurs. En revanche, malgré son intérêt pour la peinture, les cours de modèle vivant ne le passionnent guère. Il voit déjà les limites de la figuration comme simple représentation.

Dans les années 60, il réalise des à la manière de, où il met sur la toile l'idée qu'il se fait d'un Braque, Matisse, Kandinsky ou Klee idéal, ne s'intéressant qu'à leur esprit, leur lumière, leur expression. Curieusement, lui futur artiste géométrique, n'essaie pas de créer son Mondrian, démenti flagrant à l'opinion vulgaire selon laquelle réaliser un Mondrian (ou toute abstraction géométrique) serait à la portée de tout un chacun.

En 1971, Jean Branchet découvre l'acrylique, et son adéquation parfaite avec sa vision de la peinture. Cette matière froide, précise, lui permet d'affirmer son idée d'un art construit. Il ne commencera toutefois à l'utiliser, pour ne plus jamais se servir d'un autre médium, qu'en 1977.

Sa peinture n'est pas encore totalement géométrique, avec ses silhouettes cernées de noir, d'abord, enveloppées par des tonalités chaudes, et ses paysages urbains, plus tard, marqués d'une touche de surréalisme, voire de métaphysique. Il a ensuite une période de totems symétriques et hiératiques, sous l'influence de masques et sculptures africains.

C'est en 1981 qu'il définit enfin sa grammaire de formes - lignes, cercles, triangles, quadrilatères, et en constate la gamme infinie des possibilités. L'influence de Seuphor, le fait de côtoyer quotidiennement les oeuvres les plus novatrices ont certes conditionné ce choix, mais Branchet refuse le suivisme. Sa géométrie sera toute personnelle, appuyée sur l'idée d'une correspondance étroite, par le biais de l'harmonie, entre le visuel et le sonore.

Ses premières oeuvres construites se caractérisent par une profusion de couleurs - il tient à utiliser toute la palette - et l'usage de la perspective. Elle sera vite abandonnée pour un agencement de plans superposés. Quant aux couleurs, elle se réduiront bientôt à deux ou trois, quand ce ne sera pas au seul noir et blanc, constante de son oeuvre depuis 1981.

Quoique totalement abstraites, les oeuvres de Jean Branchet sont enracinées dans le réel, dans ses expériences, ses sensations. Elles se partagent pendant la décennie 80 entre oeuvres chaudes (ocres et rouges) et froides (gris et bleus), connotées aux noms de lieux qui les ont inspirées. Chaque peinture est un souvenir de voyage, une réminiscence de lecture ou de musique, dont l'exactitude du rendu s'impose. Jean Branchet fait vivre des correspondances qui pourraient bien avoir été inspirées par le Rimbaud des Voyelles.

Tel est l'essentiel de la démarche de Jean Branchet, et son fil conducteur. Et si, depuis le début des années 90, il a élargi son cercle d'intérêt plastique, avec ses sculptures, puis ses formes découpées et ses reliefs, rejoignant ainsi le mouvement MADI, il avait formulé et fini de poser les fondations de son oeuvre dès 1980.

Ces dernières années, comme on le voit à l'exposition présentée à la galerie Claude Dorval, sa démarche s'est radicalisée, sa recherche est allée plus avant encore. La sculpture l'a incité à une sobriété plus grande encore de couleurs - il ne reste plus que le blanc, le rouge et le noir, avec parfois un minuscule contrepoint de violet, dans ses sculptures, reliefs et bois découpés actuels. Parfois même, dans ces derniers, ose-t-il le monochrome blanc. Quant à ses peintures récentes, inspirées par les kanji (caractères de la langue japonaise), elles se déclinent en blanc, noir et rouge seuls, et la géométrisation des signes renvoie paradoxalement à leur origine naturaliste très ancienne.

Peinture d'une géométrie qui reflète sentiments et sensations, Jean Branchet est le dernier impressionniste des mouvements éternels de l'âme.

Marcel Galerneau (catalogue exposition Galerie Claude Dorval à Paris - 1995)