JEAN BRANCHET (Nantes. Juillet 1998)
Humaniste, ami et compagnon de route des artistes, artiste lui-même, trop longtemps sur la réserve, au point d'avoir cultivé, par pudeur, un retirement réflexif volontaire, Jean Branchet ne craint plus désormais d'affronter le regard du public et de ses pairs. Après des décennies de labeur dans son atelier clair et fonctionnel aux confins de la Loire et de la Bretagne, à la formulation continuellement recommencée d'un langage bâti sur des formes faussement installées: celles de l'alphabet construit.
Néanmoins, il n'agence pas ses formes selon l'orthodoxie, strictement néoplasticiste, en se réclamant d'une réalité matériellement juste, au sens où l'entendait Platon. Non qu'il répudie "la règle qui corrige l'émotion", mais il aime tout autant libérer la "grande fugue du vivant", autrement dit, innerver la prégnance d'un sentiment, passeur du parfum nostalgique d'un paysage, d'une contrée lointaine ou d'une cité, sans qu'aucune trace ne laisse sourdre les apparences.
Résolument non-figurative et géométrique, mais exempte de la moindre sécheresse, l'écriture de Jean Branchet s'aménage des détours et des circonvolutions, des montages ingénieux et ludiques, des jeux de piste et des hardiesses chromatique, en marge des schémas préétablis. Nonobstant, c'est bien les assises de la pensée organisatrice, qui régissent et déterminent la conjonction ramifiée de ses triangles, de ses carrés, de ses losanges, de ses sphères, et de ses écheveaux graphiques verticaux ou horizontaux parfois quadrillés.
Mais on comprend mieux par le début. A partir de rapides notations et de croquis réalisés en voyage ou au repos, qui tiennent compte de la topographie des sites, du climat, des atmosphères particulières et des humeurs du moment, Jean Branchet , à la suite de lentes décantations, souvenir et sensation associés dans le même dépouillement, effectue leur transfert sur ses supports d'élection: la toile ou des reliefs en bois, en plastique ou en carton, où ne subsistent que le passage de l'idée et l'empreinte de l'émotion, dilués dans la structure des opérations combinatoires.
Ceci posé, ce qui prévaut essentiellement, chez lui, outre le rapport exact et simplifié des formes entre elles, le calibrage de leurs proportions, la justesse de leurs échanges et de leurs ruptures, et l'esprit de synthèse qui en régule les pouvoirs, c'est le rôle de la couleur. Vive et tranchante, limitée à des tons majeurs distribués en aplats, sonore et volontaire dans ses contrastes décisifs, ses rythmes et ses harmonies ne sont pas sans relation avec la musique, car il n'ignore pas, comme l'énonçait Matisse, "que la musique et la couleur n'ont rien de commun, mais elles suivent des voies parallèles. Sept notes, avec de légères modifications, suffisent à écrire n'importe quelle partition. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour la plastique?".
Cependant, parallèlement à ces concordances, pensée et méditée, aventureuse sans débordement, enjouée sans perdre sa rigueur, musicale et architecturale, l'oeuvre de Jean Branchet affiche sa maîtrise dans ses moyens et sa finalité, allègrement scandée et sobrement dosée, au gré de ses accords concis et glissés, nappés d'une lumière crue. Par conséquent, malgré la netteté et la ferme intransigeance dont elle est forgée, jamais elle ne relègue la fibre sensible qui la relie au monde. Rien n'y est mécanique, mais subtilement modulé, basé sur l'interaction constante de la couleur à travers la lumière.
Dans ces univers tendus et frémissants, parcourus de réminiscences enfouies, loin du "redoutable esprit littérateur" dénoncé par Cézanne, la main ne tremble pas et le hasard n'a pas sa place. Tout fonctionne et s'enchaîne naturellement dans la cohérence de l'ensemble des parties. Chaque plan, chaque intersection, chaque croisement linéaire, chaque valve, chaque barre tronquée ou prolongée, composent une symphonie ininterrompue qui enclenche une dérive effusive peu courante au sein de ces horizons.
Maintenant, abordant la troisième dimension, Jean Branchet change de registre mais pas de mesure et de discipline dans la perception de sa grammaire spatiale. Ses sculptures en bois ou en plastique polychrome, généralement debout, ancrées à même le sol ou conçues pour adhérer au mur, ne sont pas seulement des objets, sinon des maquettes, parce qu'elles aspirent à la monumentalité. Elles nous offrent leurs ossatures frontales et amincies, aux unités transversales inversées, superposées et ajourées, lamelliformes, fléchées ou circulaires, de temps à autres crénelées, dont les assemblages suscitent des tensions connexes et complémentaires. Sur ces armatures en expansion, où l'impact des noirs et des rouges accuse la blancheur lisse des fonds, circule une énergie fusante qui ouvre l'espace. Les volumes et les surfaces s'interpénètrent, s'intriquent, s'évasent et se resserrent, se rétractent et se dédoublent jusqu'à l'ajustage des valeurs confrontées.
Ainsi, épaulé par une efficace économie d'intervention, au plus près des axes dominant de l'art construit, en dépit de l'autonomie tonique de son parcours, Jean Branchet n'en finit pas de nous dire son bonheur de peindre et de lever des formes qui lui appartiennent en propre, dont l'écho résonne au diapason de sa gourmandise de la vie.
Gérard Xuriguera (CIMAISE n° 259 -mai-juin 1999)