MON GEOMETRISME

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Mes tableaux, sculptures et reliefs sont la plupart du temps issus de petits dessins tracés rapidement, sous l'impulsion du moment et sans idée préconçue. Réalisés dans l'atelier, le jardin, dans l'avion, le train ou une chambre d'hôtel au cours d'un voyage, à la suite d'une lecture, souvent elle-même relative à la narration d'un voyage (le récit des explorateurs et grands voyageurs du XIX° siècle), ils constituent une sorte de carnets de voyages dans l'imaginaire. Depuis plusieurs années j'utilise l'ordinateur pour dessiner et peindre des projets de réalisations futures. J'ai donné le nom d' "ordigraphie" à ce type de création. Cet instrument est tout à fait adapté à mon style de recherche : formes géométriques, a-plats de couleur, combinaisons multiples, intégrations de plusieurs projets dans une composition unique. Si la rapidité d'exécution et les possibilités d'expérience sont infiniment plus développées les phases du processus créatif sont exactement les mêmes.


A partir d'un premier essai je décline, tout aussi rapidement, plusieurs variantes. Ces dessins ou ordigraphies "mûrissent" quelque temps. Puis, le moment venu, je détermine celui ou celle que je pourrais bien utiliser pour une nouvelle toile, relief ou sculpture. Je recherche alors les "lois", non voulues mais bien présentes, qui ont déterminé leur conception. Alors, la première phase du travail commence, la plus importante: la réalisation du dessin sur la toile ou tout autre support choisi, la découpe des pièces qui constitueront le relief ou la sculpture. J'interprète le schéma initial, je reporte ce que j'en retiens, je modifie la première ébauche. Je laisse mûrir à nouveau la composition jusqu'à ce qu'elle s'impose définitivement à moi.

Peut-être est-il possible d'expliquer les raisons de l'équilibre atteint par telle ou telle oeuvre, mais certainement pas pourquoi une sensation de bien-être ou de malaise peut saisir le regardeur face à une certaine composition, aussi bien construite soit-elle, qu'elle soit géométrique ou non, contemporaine ou ancienne. Regardez la beauté des oeuvres du Lorrain, la lumière intemporelle qui irradie ses ports, la sensation d'infini et de nostalgie qui vous saisit quelque part, mais certainement pas dans le cerveau raisonnant. Alliance magnifique de la lumière et de la géométrie !

La structure de mes toiles achevée, il faut l'habiller, lui donner une "sonorité". Comme beaucoup d'oeuvres de Bach (je prends cet exemple en toute modestie, en tant qu'explication et non comme comparaison), plusieurs instruments peuvent les interpréter, chacun y apportant sa sonorité, sa lumière, son expressivité. Selon l'humeur du moment, la saison, le besoin de changer de registre, je décide de peindre dans une tonalité rouge ou ocre, bleue ou violette, grise ou blanche. Ce sera ou bien un jaillissement de cuivres ponctué par des éclairs de cymbales, de tambours et de caisses, ou bien la plénitude du chant des violons et des altos, la chaleur des hautbois, la clarté de la clarinette, le cristal de la flûte. Ce sera la profondeur, le mystère des violoncelles et des contre-basses. J'aimerais bien faire une symphonie. Depuis quelque temps j'ai réduit ma "palette" à quelques couleurs élémentaires, blanc, noir, rouge et violet. Mais ça ne peut être que provisoire.

Sans structure le monde s'effondre. Mais la couleur c'est la vie.

Les surfaces colorées sont délimitées par un trait régulier, le plus souvent noir. Le dessin initial réapparaît, plus fort, plus évident. Les différents plans constituent une perspective "atmosphérique" de type oriental qui donne l'illusion d'une création dans l'espace.

En ce qui concerne mes sculptures et reliefs je procède d'une façon semblable. La construction se réalise en fonction de dessins préalables, de l'intuition du moment, des matériaux disponibles, de leur forme, de leurs dimensions, de l'équilibre et des rapports qui, progressivement, s'installent entre les pièces constitutives. Puis, je les assemble, les ponce et peins jusqu'au résultat désiré. La plupart du temps les reliefs et sculptures sont à dominante blanche ou noire avec une ponctuation - cercle ou bande - de rouge lumineux. La lumiére qui frappe l'oeuvre lui donne vie grâce à sa réflexion sur les bords et surfaces.

Comme je l'ai déjà dit, ma géométrie est certainement spatiale. Des plans différents sont mis en relation à travers un jeu de surfaces-volumes se chevauchant, s'emboîtant, passant les uns à travers les autres, les uns derrière les autres. Les espaces ainsi délimités de cette perspective "frontale" sont accentués par le jeu des couleurs et des dégradés. Certains y distinguent des parties d'architectures, des vues partielles de machines indéterminées, d'autres des réseaux incompréhensibles de canalisations, d'autres des totems... En ce qui me concerne, j'ai tout simplement cherché à réaliser une structure peinte, aussi équilibrée, aussi plastique que possible, tirant son existence, sa présence que d'elle-même.

Mes peintures et sculptures ont des titres, un nom, comme chacun d'entre-nous. Je pense que leur réalité est d'autant plus forte qu'il est possible de les désigner par un nom qui leur appartienne en propre. Il n'est pas indifférent de parler de Monsieur X ou de Madame Y. D'où viennent ces titres? Ils sont souvent purement inventés, en général par série. Je choisis dans la liste celui qui me semble le plus approprié à l'oeuvre réalisée ou celui qui correspond le mieux à l'état d'esprit du moment. Quelquefois, ils correspondent au lieu où le dessin a été fait, comme Samarcande, Khiva, Hong-Kong, Shantou, Brained, Grenoble, Tronoën, Praha... ou encore à des noms de constellation. J'aime lire les récits des grands explorateurs du siècle passé. C'est une façon de pénétrer dans un réel-imaginaire étonnant. Récits d'actions si proches de nous et tellement perdues dans le passé de la mémoire. Quand un nom de lieu, de ville, de région me plaît je le retiens pour en baptiser une oeuvre future. Autre imaginaire qui nous a tous bercé, la mythologie, surtout grecque. J'aime ces dieux et déesses qui peuplaient l'Olympe, ces monstres et héros aux histoires compliquées et fantastiques, j'aime les mythes que les civilisations antiques ont su créer. Je dresse des listes de personnages, de lieux, et je les utilise. Une série entière de peintures ou de sculptures peut porter les noms attachés à tel ou tel dieu ou héros. Ce sera, par exemple, le cycle de Prométhée. En fait, je crée des individualités que je consigne dans un régistre d'état-civil.

Depuis quelque temps je réalise en ordinateur des animations de structures géométriques accompagnées par un environnement musical. Je les ai baptisées "spaciographies". Véritables créations spaciales elles peuvent être considérées comme des tableaux mobiles cinétiques regardables à la demande.

Que dire après tous ces commentaires purement formels? Ils ne donnent finalement aucune explication quant à l'essence même de l'Art, au mystère de la création qui, lui, appartient à un autre ordre de valeurs, bien inexplicable par quiconque et en particulier par l'artiste lui-même.


Jean BRANCHET (Nantes, 2001)

photos d'atelier